Expiration de Ted Chiang

Expiration est arrivé chez nous auréolé d’une belle réputation et d’un beau bandeau bleu avec une mention de Barrack Obama. Classé par le New York Times dans les dix meilleurs livres de l’année 2019, le livre est le second recueil de Ted Chiang. Le premier recueil de l’auteur La Tour de Babylone, contenait le texte « l’Histoire de ta vie » adapté au cinéma par Denis Villeneuve et rebaptisé Premier contact.

Expiration contient 9 textes de longueurs très différentes dont trois ont reçu le prix Hugo. Plusieurs thématiques sont communes aux 9 textes. Je vais essayer de les regrouper par grands axes en parlant plus précisément de chacune.

Un des grands sujets du recueil est la notion de libre arbitre et savoir si l’homme dispose réellement de celui-ci. Ce thème apparait dès la première nouvelle, Le Marchand et la Porte de l’alchimiste. Cette nouvelle a été écrite en 2007 et a obtenu plusieurs prix, le Nebula de la meilleure nouvelle en 2007 et le prix Hugo même catégorie en 2008. La nouvelle ressemble à un conte des milles et une nuits et se déroule à Bagdad. Bashaarat, un alchimiste, a ouvert une échoppe dans le grand marché. Fuwwad Ibn Abbas se rend dans son échoppe et de fil en aiguille, Bashaarat va lui parler de sa plus grande invention, une porte permettant de se rendre 20 ans dans le futur. L’alchimiste lui raconte les aventures de ceux qui ont testé la porte mais Fuwwad aimerait se rendre dans le passé. La nouvelle est très bien écrite, l’aspect conte oriental lui donne encore plus de cachet et d’ambiance. La thématique du voyage dans le temps est très bien traitée. Un texte très court écrit en 2005, Ce qu’on attend de nous revient sur la notion du libre arbitre ou plutôt le fait qu’il n’existe pas. Le texte n’est pas inintéressant mais trop court pour vraiment marquer.

Une autre thématique du recueil est celui des Intelligences artificielles, des automates doués d’intelligence. La nouvelle Expiration, datant de 2008, avait été publiée auparavant dans la revue Bifrost. Elle a obtenu les prix Hugo, Locus, et British Science Fiction de la meilleure nouvelle courte en 2009. Un scientifique raconte son univers où les êtres sont des sortes de robots mécaniques. Le personnage a opéré une dissection de son propre cerveau pour en comprendre le fonctionnement. Les descriptions des automates sont impressionnantes et la nouvelle arrive en peu de pages à créer un véritable univers. La Nurse automatique brevetée de Dacey est un texte assez court de 2011 qui raconte l’histoire de Reginal Dacey, bien décidé à fabriquer une nurse artificielle. Elle sera commercialisée à partir de 1901 mais un grave accident provoque l’arrêt de la nurse automatique. Une nouvelle sympathique mais moins intéressante que d’autres du livre. Le Cycle de vie des objets logiciels est le plus long texte du recueil, on peut parler d’une novella. Il a d’ailleurs reçu les prix Hugo et Locus catégorie roman court en 2011. L’histoire suit deux personnages, Ana et Derek, qui se rencontrent dans la société où ils travaillent : Blue Gamma. Cette compagnie s’est lancée dans la création et la vente de digimos, des compagnons virtuels intelligents et ayant la capacité d’apprendre. Les digimos ont l’apparence de robots ou d’animaux et existent sur une plateforme de monde virtuel. Les premiers mois, les digimos remportent un vif succès, mais malheureusement celui-ci ne dure pas, et Blue Gamma se voit contrainte d’arrêter ses activités. Ana et Derek, comme certains autres, choisissent de garder leurs digimos malgré tout. Les digimos sont de véritables intelligences artificielles posant de nombreuses questions à la fois éthiques et sensibles. Ils font un peu penser à des enfants qu’il faut éduquer, mener vers l’âge adulte. En suivant le destin de ces deux personnages sur plusieurs années, on voit l’évolution des digimos au fils du temps, la manière dont ils apprennent et veulent grandir. Le texte est passionnant, les personnages bien créés et attachants, les réflexions sur les IA sont pertinentes. Une grande réussite.

Un des autres sujets du recueil est l’introduction de technologies nouvelles dans notre monde sous la forme d’anticipation. La Vérité du fait, la vérité de l’émotion, texte écrit en 2013, raconte deux histoire en parallèle: celle en 1941 d’une peuplade du Niger lors de la colonisation européenne avec l’impact de l’écriture face à la tradition orale et celle de la relation entre un homme et sa fille. Dans le monde où vit cet homme, une technologie permet d’enregistrer sa vie pour la garder en mémoire, un peu comme dans un journal. On trouvait une technologie similaire dans un épisode de la série Black Mirror. Grace à cette technologie, l’homme se rend compte qu’un événement qu’il pensait avoir vécu d’une certaine manière s’est en réalité déroulé tout autrement. La nouvelle est intéressante et nous fait voir la subjectivité de la mémoire dans les deux récits. L’angoisse est le vertige de la liberté est une nouvelle très longue, proche d’une novella, à nouveau et écrite en 2019. On y retrouve également le thème du libre arbitre, mais celui de la technologie domine le récit. Il est question d’une nouvelle technologie qui permet de communiquer avec une autre version de soi dans des mondes parallèles, où le cours des choses n’a pas évolué forcément de la même manière. Cette technologie s’appelle le prisme, et elle change complètement le monde. Des groupes de soutien pour les utilisateurs de prisme devenus dépendants et dépressifs voient le jour. La nouvelle est un peu compliquée à suivre mais très intéressante, l’auteur envisageant tous les travers possibles d’une telle technologie.

Enfin les deux derniers textes du livre diffèrent un peu mais on y retrouve le sujet de la science et de son impact sur les hommes, les animaux et la planète. Le Grand Silence est un texte court écrit en 2014 mais contenant beaucoup d’émotions. La nouvelle adopte le point de vue d’un perroquet d’une espèce particulière qui vivait à côté du radio télescope d’Arecibo destiné à chercher des formes de vie dans l’espace. L’oiseau ne comprend pas les humains qui recherchent à tout prix dans le lointain ce qu’ils ont juste à côté d’eux. C’est un très beau texte, en peu de pages l’auteur touche juste. Omphalos est une nouvelle récente de 2019 sur le créationnisme. L’histoire se déroule dans une réalité alternative où le créationnisme est la norme. Le texte suit le parcours de Dorothea Morrell, archéologue, et de ses prières à Dieu. Ted Chiang déconstruit les théories créationnistes. C’est intéressant et bien fait mais un peu froid.

Expiration est ainsi un recueil de très grande qualité. Les thématiques traitées sont vastes et riches. L’auteur aborde des questionnements variés à la fois sur la société, l’éthique, les nouvelles technologies qui pousse son lecteur à réfléchir sur notre monde. Les analyses fournies par l’auteur peuvent parfois paraitre froides mais elles sont d’une grande finesse et menées avec brio et intelligence.

Autres avis: Feydrautha, Gromovar, Just a word, Lorhkan,

Auteur : Ted Chiang

Édition: Denoël collection Lunes d’encre

Parution : 02-09-2020

Les neuf histoires qui constituent ce livre brillent à la fois par leur originalité et leur universalité. Des questions ancestrales – l’homme dispose-t-il d’un libre arbitre? si non, que peut-il faire de sa vie? – sont abordées sous un angle radicalement nouveau.
Ted Chiang pousse à l’extrême la logique, la morale et jusqu’aux lois de la physique pour créer des mondes inédits dans lesquels les machines en disent long sur notre humanité.
Auréolé d’un immense succès critique et commercial aux États-Unis, Expiration est en cours de publication dans vingt et un pays, installant définitivement son auteur parmi les écrivains américains les plus importants.

Cette chronique fait partie du “Le Projet Maki”

11 commentaires

  1. Encore un recueil. N’avez-vous pas tous fini de me tenter avec des recueils ? Ce n’est pas le truc que je préfère, alors je passe du temps à les lire – ok, je les apprécie, même parfois beaucoup – mais quand puis-je ensuite lire mes romans que j’aime tant ? hein?
    le troll, prend ton marteau et file toi un coup sur la tête!

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