Moi, ce que j’aime, c’est les monstres – Emil Ferris

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Moi, ce que j’aime, c’est les monstres est le premier roman graphique d’Emil Ferris. C’est un premier tome et la sortie du second est prévue pour fin septembre aux États-Unis. Après avoir essuyé de nombreux refus, Emil Ferris est arrivé à faire publier ce livre par Fantagraphics et ce fut un succès immédiat. Le livre a eu un très bon accueil dans la presse et a remporté de nombreux prix notamment le Prix Eisner 2018 du meilleur album et de la meilleure auteure et le Fauve d’or au Festival d’Angoulême 2019. Une adaptation au cinéma est prévue avec Sam Mendes aux manettes. En France, le livre est publié chez Monsieur Toussaint Louverture en Août 2018.

Ce roman graphique dans sa totalité (2 tomes réunis) fait plus de 800 pages et a une histoire un peu particulière. Il a été réalisé au stylo bille puis retouché. Emil Ferris est illustratrice et a contracté en 2001 le virus du Nil occidental. La maladie l’a laissée en partie paralysée et lors de sa rééducation, elle a suivi un cours d’écriture créative de l’École de l’Institut d’art de Chicago. C’est à ce moment qu’elle a écrit Moi, ce que j’aime, c’est les monstres, avec un stylo bille collé à la main pour pouvoir dessiner et écrire. Ce trait au stylo donne une caractéristique bien particulière aux dessins et aux couleurs. La diversité des mises en page et la densité du texte font de ce livre un roman graphique, plus qu’une bande dessinée. Les graphismes sont particuliers et on peut ne pas adhérer mais on ne peut pas nier la richesse des mises en page et la beauté de certains dessins dont celui de couverture que je trouve particulièrement expressif.

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Le livre est le journal intime de Karen Reyes, une petite fille de dix ans, qu’elle dessine et écrit elle-même. Karen habite à Chicago à la fin des années 1960 avec sa mère et son frère dans un appartement situé au sous-sol, les appartements où habitent les familles les plus pauvres. Karen est passionnée par les monstres et elle s’imagine en être un elle-même, elle se dessine ainsi sous la forme d’un loup-garou. On ne verra son véritable visage qu’une seule fois dans ce premier tome, quand son frère aîné la force à se regarder dans un miroir. Pour Karen, il est plus facile d’être un monstre que d’être une fille et une future femme. Karen est un personnage formidable, brillamment décrite et à qui la vie ne fait pas de cadeaux. Elle s’est construit son monde bien à elle, qui lui permet d’affronter la réalité de l’école, des amies perdues, et du quotidien. Elle voue une vraie passion à tout ce qui touche aux monstres et au surnaturel, de quoi s’attacher très vite à elle et à son univers.

Le 14 février, la voisine de Karen, la belle Anka Silverberg, se suicide en se tirant une balle dans le cœur. Mais pour Karen, ce ne peut pas être aussi simple, elle décide d’enquêter et de trouver ce qui s’est vraiment passé. Elle va ainsi se plonger dans la vie de Anka et découvrir son passé de rescapée de la Shoah. Cependant, en menant son enquête, Karen va découvrir bien plus et mettre à jour de nombreuses histoires enfouies. Les monstres prennent alors un autre visage et Karen va vite s’en rendre compte. Le passé de Anka est terrible et le livre prend alors une autre tournure, mettant à jour les blessures de l’histoire avec la déportation des juifs et les horreurs vécues par une enfant dans une Allemagne pauvre de l’entre deux guerres.

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Le récit est centré sur Karen qui raconte l’histoire à sa manière et est ainsi brillant d’émotions. On la ressent dans les mots employés par la jeune fille et dans ses dessins qui expriment à la fois la colère, la peur ou l’amour. Emil Ferris mélange enquête, témoignage historique, enfance et drame familial avec brio. Elle rend hommage à l’art, à la peinture au travers de double pages où l’on reconnait bien les œuvres originales et emprunte de la vision qu’en a Karen.

Au travers de son récit, Emil Ferris met en avant la différence, les minorités au travers du personnage de Karen qui revendique le droit d’être ce qu’elle désire, d’être comme elle est. C’est une ode à la liberté, au courage, à la force de se battre pour être ce que l’on veut. Des thématiques de Moi, ce que j’aime, c’est les monstres  sont terriblement actuelles et résonnent en nous lecteur, parlent d’un monde qui est proche du notre, de notre quotidien.

Moi, ce que j’aime, c’est les monstres est ainsi une brillante réussite à tous les niveaux. Un roman graphique qui parle des monstres, des minorités, de la liberté, du courage. Un récit où les histoires s’imbriquent à la fois grâce à un vrai sens du détail, à une construction passionnante et une maîtrise narrative indéniable. Le scénario dense et travaillé est parfaitement mis en valeur par les dessins et la mise en page. En deux mot, vivement la suite!

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